1937 – Hitler élimine les dernieres oppositions conservatrices

Avant Propos : En 1937, Hitler décide que l’heure est venue de partir à la conquête de l’Europe de l’Est. A cet effet, il entreprendra avant l’Anschluss un profond remodelage de l’administration et de l’armée, destituant le Ministre des Affaires Etrangères Von Neurath, et contraignant les deux chefs de la Wehrmacht, le maréchal Von Blomberg (Ministre de la Guerre) et le général Von Fritsch, à la démission, pour cause de scandale affectant leur vie privée, en réalité une machination des SS et de Göring. L’auteur – Nicolas BERNARD.

UN NOUVEAU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES

Von Neurath
Von Neurath

Le Ministre des Affaires Etrangères, Konstantin Freiherr Von Neurath, au terme de l’année 1937, ne peut constater le déclin de sa position. Hitler n’a guère tenu compte de ses avis, préférant des rapports cordiaux avec la Pologne, alors qu’un accord avec ce pays n’était, selon le Ministre, « ni possible ni souhaitable », et rejetant l’option d’un accord avec les Soviétiques, au contraire de la voie suivie par la République de Weimar jusqu’à présent. La chute de Neurath a été presque confirmée lors de la conclusion des accords de Londres, en 1935 : parce qu’il a parlé « d’amateurisme  » en la matière, il s’est retrouvé exclu des négociations (son nom n’apparaît même pas sur le récépissé des minutes).
C’est avec la conférence du 5 novembre 1937, au cours de laquelle Hitler révèle partiellement ses intentions diplomatiques pour les années à venir que Neurath prend conscience de l’abîme qui sépare ses conceptions de l’ordre mondial des théories hitlériennes. « Cette allocution de Hitler m’avait bouleversé à l’extrême, confiera le Ministre à Nuremberg, car la politique que j’avais poursuivie jusqu’à ce moment là d’une façon conséquente et par des moyens pacifiques sur le plan extérieur avait perdu tout fondement. »

Frappé par plusieurs crises cardiaques, Von Neurath rencontre le chef de l’état-major de l’armée allemande, le général Von Fritsch, le 07 novembre. Avec l’aide du chef d’état-major de l’armée de terre, le général Beck, ils tentent de raisonner le Führer. Sans succès.

Von Neurath rencontre personnellement Hitler à la mi-janvier 1938. Là encore, c’est un échec. Le Ministre lui offre sa démission. Hitler ne l’acceptera que trois semaines plus tard, le 04 février 1938, lorsqu’il opérera l’une de ses dernières grandes purges.

Le successeur de Von Neurath n’est autre que l’ex-ambassadeur allemand à Londres, Joachim Von Ribbentrop, anglophobe et soviétophile. Le choix est malheureux, tant le nouveau Ministre paraît peu au fait des subtilités diplomatiques (en 1945, il croyait encore que Churchill se prénommait Vincent au lieu de Winston…). Mais c’est justement ce que Hitler recherche : seul le Führer dirige la politique étrangère.

 

 

LE MARECHAL ET LA PROSTITUEE

Von Blomberg
Von Blomberg

Comme Von Neurath, le maréchal Von Blomberg n’est pas un grand partisan des visées expansionnistes de Hitler. Cela étant, il a été, jusque là, un fervent partisan du Reichskanzler. Il a misé sur Hitler dès le début, conseillé en cela par son chef d’état-major qui joue des rôles d’éminences grises, Von Reichenau. Il a félicité le Führer pour avoir liquidé la direction des SA lors de la Nuit des Longs Couteaux, oubliant un peu vite qu’au cours de cette même nuit avaient péri d’autres personnalités, conservatrices celles-là, dont le général Kurt Von Schleicher. En récompense de sa servilité (on le surnommait « le lion de baudruche »), Hitler lui a offert le bâton de Feld-Maréchal, en 1936. Jamais Blomberg ne s’est opposé à la politique nazie.

Du moins jusqu’à la conférence du 05 novembre 1937. Sans se montrer en désaccord formel avec le Guide, Von Blomberg n’est cependant pas très chaud pour démarrer la conquête de l’Europe. Sans oublier le fait qu’il se heurte aux prétentions des SS, qui souhaitent accroître leur influence au sein de la Wehrmacht, comme les SA quatre ans plus tôt.

L’occasion de se débarrasser de lui va arriver plus vite que prévu.

Début janvier, Von Blomberg annonce au Führer qu’il compte épouser une dactylo du Ministère, Eva Grühn, âgée de 24 ans (après 6 ans de veuvage – vive l’amour). Le maréchal signale néanmoins que la jeune femme n’est pas du même milieu que lui. Elle a un passé… ». Ni Hitler ni Göring, qui louche de plus en plus vers ce Ministère, ne s’y opposent, arguant que ce mariage apporterait du crédit à la Propagande, qui insiste sur l’égalité des classes sociales pour mieux différencier les races. Le couple se marie donc le 12 janvier, en présence des deux dirigeants nazis. D’emblée les rumeurs commencent à courir, sur les antécédents de la jeune mariée. On voit même des prostituées de Berlin appeler le Ministère de la Guerre par téléphone pour se régaler qu’une ancienne des leurs soit arrivée à ce niveau de réussite sociale !

Le 20 janvier, la police berlinoise retrouve le dossier de cette Eva Grühn. Effectivement, son passé est plus que chargé, au regard de ses altercations avec la brigade des moeurs pour prostitution et pose pour des photographies pornographiques. Le 21, le préfet de police de Berlin et futur conspirateur contre Hitler, le comte Helldorf, au lieu de prévenir Himmler (ce qui permettrait à la Gestapo de tenir le Ministre par le chantage), s’en va alerter le plus proche collaborateur de Von Blomberg, le général Keitel… qui le renvoie chez Göring ! Le 22, le chef de la Lutfwaffe prend connaissance du dossier et le 23 en parle à Himmler et Heydrich. Il est probable que c’est à ce moment là que les deux SS lui remettent un autre dossier, concernant le général Von Fritsch, possible successeur de Blomberg.

Hitler est averti le 25 par Göring. Furieux, il exige la démission de Blomberg. Ce dernier entre en disgrâce, lâché par tout le Haut-Commandement qui ne lui pardonne pas cette conduite (on verra même un envoyé de l’amiral Raeder lui proposer de se suicider pour laver son honneur). Mais par qui le remplacer ?

Logiquement, ce devrait être le chef de l’armée de terre, le général Werner Von Fritsch. C’est alors que Göring présente, toujours le 25, un autre dossier au Führer. Dans ce dossier, une révélation incroyable : le général Von Fritsch est homosexuel.

COUP TORDU CONTRE VON FRITSCH

Von Fritsch
Von Fritsch

Le général Werner Von Fritsch est à l’époque le chef de l’armée. Digne représentant de l’aristocratie militaire prussienne, le « type même de l’officier d’état-major » selon le Groß Admiral Erich Raeder, Von Fritsch n’est pas un fervent opposant au national-socialisme, mais essaie de réduire tant que faire se peut l’influence de cette doctrine sur le corps des officiers et prône une sorte de « collaboration limitée » avec le gouvernement, veillant jalousement à ce que l’armée conserve son autonomie et sa place au sein des institutions.

Or pareil point de vue n’est pas sans se heurter à la conception première du « Führerprinzip », qui veut que ce soit Hitler qui dirige la totalité de l’appareil d’Etat. L’armée se doit d’être soumise. Mais Von Fritsch méprise les SS de Himmler comme il a détesté les SA. La crise finit par éclater après la conférence du 5 novembre 1937, suite aux désaccords très nets formulés par le général vis-à-vis du projet européen nazi. Hitler semble songer à se débarrasser de lui. L’occasion lui en sera fournie au même moment que pour Blomberg.

Pour liquider Fritsch, la Gestapo va forger un dossier bidon accusant Von Fritsch d’avoir eu des rapports homosexuels, délit couvert par l’article 175 du Code Pénal allemand (sachant qu’un nombre assez important de personnalités étaient « frappées du vice de l’homosexualité », les SS avaient obtenu de s’occuper de la répression de ces cas). Les SS avaient mis la main sur un « témoin », Hans Schmidt, qui prétendait avoir surpris un certain officier Von Frisch (sans  » t ») en train de commettre le délit d’homosexualité, près de la gare de Wannsee, une nuit de 1935, avec un certain « Jo le Bavarois », bien connu de la brigade des moeurs. Il faut dire que Schmidt et ledit Jo recouraient fréquemment à ce type de coup vicieux, afin de faire chanter leurs riches victimes. La Gestapo avait alors (toujours en 1935) fourni le dossier à Hitler, faisant valoir que ce Von Fritsch ne pouvait être que le général commandant en chef de l’armée allemande ! Mais Hitler avait ordonné de détruire ledit dossier et d’enterrer l’affaire.

En l’espèce, le Führer devait avoir raison. L’officier dénoncé par Schmidt n’était pas le général Von Fritsch, mais un capitaine de cavalerie nommé Von Frisch. Qu’importe pour Himmler et Heydrich ! Le dossier Von Fritsch ressort en janvier 1938 : Göring le montre à Hitler le 25 janvier, après les révélations sur Blomberg. Déjà scandalisé par l’affaire Blomberg, le Führer convoque Von Fritsch à la chancellerie dans la soirée du même jour, le confrontant au témoin produit par Heydrich et Himmler, qui, comme par hasard, le reconnaît immédiatement comme étant l’homme aperçu avec « Jo le Bavarois » cette fameuse nuit de 1935.

Von Brauchitsch
Von Brauchitsch

Fritsch nie. Mais il est trop tard. Hitler exige sa démission puis, face au refus hautin de Fritsch, lui accorde un « congé illimité », ce qui revient au même.
Cependant, l’armée de terre va faire bloc autour de Fritsch : une enquête menée par elle démontre que le dossier de la Gestapo ne repose sur rien, pire : que c’est un montage. Hitler, mis à mal, propose un marché au général : il démissionne et accepte de se présenter à une cour militaire extraordinaire, présidée par Göring, Raeder et le nouveau commandant en chef de l’armée, le général Von Brauchitsch.

Le tribunal, qui subira un ajournement d’audience pour cause d’Anschluss, conclut à l’innocence de Von Fritsch. Himmler et Heydrich ont tout fait en sorte pour que l’on croie à une erreur commise, non par leurs services, mais par leur témoin, Hans Schmidt, qui finalement sera supprimé sur ordre personnel du Führer.

Réhabilité, Von Fritsch réintègre l’armée, mais ne retrouve pas son poste, étant nommé colonel honoraire du 12e régiment d’artillerie, et restera exclu des sphères du Haut Commandement. Profondément écoeuré par cette machination, l’ex-général se laissera abattre par un sniper polonais, le 22 septembre 1939, lors de la bataille de Varsovie. Ironie tragique : le Plan Blanc, le plan d’invasion de la Pologne qui aboutira à la destruction de l’armée ennemie en trois semaines, était son œuvre.

Quant à Von Blomberg, lui et sa femme s’installeront dans un village bavarois où ils resteront jusqu’à la fin de la guerre. Jugé à Nuremberg, il y mourra le 13 mars 1946.

TRIOMPHE DU FUHRERPRINZIP

Suite à la mise à l’écart de Von Blomberg et Von Fritsch, Hitler doit leur trouver des successeurs. Göring envisage de devenir Ministre de la Guerre, mais son supérieur et vieux complice s’y refuse. Finalement, la nouvelle tombe, le 04 février 1938 : Hitler, par décret, prend personnellement le commandement des forces armées.

Hilter, chef des armées !
Hilter, chef des armées !

Le Ministère de la Guerre cesse d’exister. Il est remplacé par une instance spéciale, le Oberkommando der Wehrmacht, ou OKW (Haut-Commandement des Forces armées) auquel sont subordonnées les trois armes que sont l’armée de terre(Heer), l’aviation (Luftwaffe), la marine (Kriegsmarine). Alors que Hitler s’autoproclame chef des armées, le général Keitel prend le commandement de cet OKW. . Cet officier, pas si idiot que l’on a bien voulu le dire, est totalement inféodé au Führer, à tel point que les militaires l’appelleront « Lakai-tel » pour, Keitel le Laquais.

Quant à Von Fritsch, il sera remplacé par le général Von Brauchitsch, personnalité effacée et d’autant plus redevable au Führer que ce dernier l’a aidé à régler sa procédure de divorce (la nouvelle femme de Von Brauchitsch, Charlotte Schmidt, étant à ce sujet, selon le mot d’Ulrich Von Hassell, une « nazie 200 % »). Hitler ne s’arrête pas là : 16 généraux (dont Von Runstedt, Von Leeb, Von Witzleben, Von Kluge, Von Kleist : autant de noms qui reviendront lors du Blitzkrieg…) sont limogés, quarante-quatre mutés. Pour reprendre une formule connue, les généraux allemands n’avaient plus qu’à « se soumettre ou se démettre ».

Le Ministère des Affaires étrangères soumis, le Haut Commandement remanié, ces deux branches fondamentales de la politique extérieure allemande sont définitivement passés sous le contrôle de Hitler. Désormais, rien ne semble s’opposer aux grands desseins du maître du IIIe Reich.

La question est alors de savoir si manipulation il y a eu. En ce qui concerne Von Fritsch, aucun doute. Heydrich a organisé toute la procédure, et Göring, qui ne souhaitait pas voir ce général remplacer Von Blomberg, a saisi l’opportunité pour alerter le Führer… tout en s’efforçant de paraître conciliant, notamment vis-à-vis de Blomberg, chez qui il jouera le rôle tantôt de conseiller tantôt de consolateur.

Et pour Blomberg ? Difficile de prétendre que la Gestapo n’était au courant de rien. De même peut on se surprendre de la rapidité avec laquelle les rumeurs ont couru juste après le mariage. Et l’on peut se demander comment la police a pu laisser des prostituées contacter le Ministère de la Guerre pour se moquer impunément des officiers… Quant à Göring, certains l’accusent d’avoir délibérément poussé Von Blomberg à épouser sa jeune secrétaire pour mieux le tenir par le chantage. Pertinent, mais difficile à prouver.

Reste le rôle de Hitler. En ce qui concerne son Ministre de la Guerre, il semble avoir été surpris. A suivre de nombreux historiens, il a profité d’une occasion tombée à point nommé. Il est également possible, au vu de ce qui a été dit plus haut, qu’il ait joué la comédie, pour ne pas se faire accuser par l’armée d’avoir lancé les SS à l’assaut de la Bendlerstrasse.

Pour ce qui est de Von Fritsch, les mêmes hypothèses pourraient s’appliquer. Hitler n’aurait fait que bondir sur l’occasion fournie par des SS et un Göring décidément bien zélés. Il peut aussi avoir tout planifié, de l’ordre transmis à Heydrich – et visiblement jamais retrouvé – de ressortir le dossier Fritsch à cette comédie montée avec Göring, Fritsch et le faux témoin produit par la Gestapo. En tout cas, Hitler désirait bel et bien destituer ce général, du moins si l’on en juge par la hâte avec laquelle il a accordé foi au dossier de Heydrich (qu’il avait ordonné de faire disparaître en 1935) ou lorsqu’il a poussé Fritsch à démissionner, quitte à se retrouver en fâcheuse posture suite à l’enquête de l’armée. Et encore… Le Führer devait faire croire qu’il avait été victime d’une erreur des SS. Lesdits SS devaient à leur tour sacrifier leur faux témoin, qui, on l’a dit, devait être exécuté par la Gestapo. Par ordre du Führer.

Hitler est à nouveau sorti vainqueur d’une crise aux multiples rebondissements. Il a réussi à s’imposer à l’armée tout en feignant l’innocence. Dès lors, les choses sérieuses peuvent commencer. A peine les réformes du Haut-Commandement sont-elles rendues publiques que le dictateur nazi songe déjà à sa politique étrangère. Dans quelques jours, va débuter le projet de soumission de l’Autriche, qui aboutira, de manière un peu plus rapide que prévue, à l’annexion.

Toujours est-il que, manipulation ou pas, le Führer est sorti vainqueur de cette crise. Ce n’est pas la première fois. Ce ne sera pas la dernière.

LES SOURCES :

Jacques Benoist-Méchin – « Histoire de l’armée allemande » – Laffont, Bouquins, 1984.
Christian Bernadac – « Les trompettes de Berlin » – France-Empire, 1981.
André Brissaud – « Histoire des services secrets nazis » – Plon, 1972.
Jacques Delarue – « Histoire de la Gestapo » – Fayard, 1962.
François Delpla – « Hitler » – Grasset, 1999.
Hans-Bernd Gisevius – « Jusqu’à la lie « , vol. 1  » De l’incendie du Reichstag à la crise Fritsch-Blomberg » – Calmann-Lévy.
Ian Kershaw – « Qu’est-ce que le nazisme ? Problèmes et perspectives d’interprétation » – Folio, 1997.
Philippe Masson – « Histoire de l’armée allemande » – Perrin, 1994.
William L. Shirer – « Le 3e Reich, des origines à la chute » – Stock.
Marlis Steinert – « Hitler » – Fayard, 1990.
John Toland – « Hitler » – Laffont, Bouquins, 1983.
Charles Wighton – « Heydrich, l’ange du mal » – Presses de la Cité, 1962.